Hugh River Stock Route Territoire du Nord

Le centre de l’Australie est plein de personnages excentriques. Au milieu du désert, ils peuvent laisser libre cours à leurs fantasmes sans se faire remarquer. Denis est l’un d’entre eux.

De taille moyenne, habillé d’une belle barbe blanche, le visage buriné par le soleil, il accompagne ses mots de grands gestes, comme s’il voulait à chacun d’eux chasser les mouches qui tourbillonnent sans cesse.

Sa maison ne ressemble à aucune autre, elle est montée sur quatre roues. Denis la promène à travers le pays dès qu’une stabilité prolongée commence à lui peser. À l’intérieur, il a placé un lit, une table et une chaise, quelques bibelots et a accroché des photos çà et là. Deux petites fenêtres procurent à la pièce une lumière douce. Sous la roulotte se trouve une grande cage dans laquelle il enferme ses poules lors de ses voyages. Le chaton et le chien peuvent quant à eux, se déplacer comme bon leur semble. Denis à une passion qu’il n’eut pas de mal à me faire partager, celle des chameaux.

Parmi les vastes plaines désertiques du centre de l’Australie habitent plusieurs milliers de ces tylopodes. Contrairement aux kangourous, aux wombats, aux émeus ou encore aux koalas, les chameaux ne sont pas des animaux endémiques. Autrement dit, l’Australie n’est pas leur pays d’origine et aucun d’entre eux n’était présent sur le continent avant l’arrivée des hommes blancs, en 1770. On eut l’idée de les faire venir d’Asie à la fin du siècle dernier pour la construction des voies de chemin de fer. Devenus ensuite inutiles, ils furent relâchés dans une nature leur convenant tout à fait.

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Samy, un zoologiste rencontré quelques semaines plus tôt, est devenu un spécialiste de ces animaux. Il étudie leur comportement au centre environnemental des régions arides. Grâce à des capteurs placés sur certains d’entre eux, il peut suivre le déplacement des troupeaux par satellite et évaluer leur sone d’activité. Il a pu définir que leur impact sur l’environnement est très limité. Il n’en est pas de même d’autres races arrivées sur les bateaux des premiers colons britanniques. Les chats, les lapins et les souris sont pour leur part responsables de la disparition de nombreuses espèces animales et végétales. Les seuls chats sauvages du Territoire du nord, font disparaître chaque année plusieurs millions de marsupiaux de petite taille. Une catastrophe écologique face à laquelle les solutions sont très limitées.

Les chevaux ont connu à peu près le même sort que les chameaux et quelquefois, j’ai pu observer un groupe de ces équidés redevenus sauvages. Mais l’aridité leur convient beaucoup moins qu’aux camélidés. Les pluies sont aussi rares que violentes. Lorsque tombe l’une d’entre elle, la nature change du tout au tout. Le sol se couvre de fleurs et les conditions de vie deviennent en peu de temps, tout à fait idéales. C’est le moment qu’ils choisissent pour se reproduire. A l’issu de la gestation, dix à douze mois plus tard, il y a peu de chances pour que le poulain naisse à une période où la nourriture est abondante. Alors, leur nombre devient rapidement bien trop important par rapport aux ressources disponibles. Squelettiques, ils parviennent parfois jusqu’aux rares points d’eau d’où ils n’ont pas la force de ressortir. Leurs cadavres en décomposition polluent alors la mare devenue impropre pour les autres animaux. Afin d’éviter cela, des chasseurs professionnels éliminent régulièrement un quota précis de chevaux, comme c’est d’ailleurs le cas pour les kangourous dont la chair alimente notamment nos animaux domestiques.

Denis a quatre chameaux, deux mâles castrés et deux femelles. Son curieux équipage est connu dans le pays tout entier et bien rares sont les habitants des régions isolées qui ne l’ont pas vu passer un jour, installé sur le devant de sa roulotte. Il est encore tôt ce matin-là quand nous sanglons et sellons les bêtes dans l’objectif d’une longue promenade dans le désert. Attachés à l’avant de la roulotte, les deux mâles font leurs premiers pas et l’ensemble gouge doucement. Les femelles, plus petites, suivent le mouvement, reliées aux côtés de la maison roulante par une corde.

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Assis sur des coussins, j’admire la manière dont Denis guide ses bêtes. D’une manière régulière, il leur donne des ordres fermes. Il hausse surtout la voix lorsque l’un des mâles détourne son long cou pour cueillir quelques fleurs. Avec chaque animal, il adopte un comportement particulier, tant leurs caractères sont différents. Comme les hommes, les chameaux sont dotés de qualités et de défauts dont il faut absolument tenir compte. Être un bon chamelier n’est pas une chose facile, mais Denis est considéré comme l’un des meilleurs. Un verre de vin blanc à la main, il me raconte ses périples à travers les déserts, toujours accompagné de ses poules dont il peut consommer les œufs. Nous échangeons nos expériences alors qu’après plusieurs refus, il finit par me faire accepter une bière. D’un mot en allemand, il incite son équipage à accélérer. Les animaux se mettent à trotter, puis à cavaler. Jessie, le petit chien saute à l’extérieur et se faufile entre les pattes des deux mâles en aboyant. En début d’après-midi, nous avons parcouru une distance finalement assez modeste mais sans se fatiguer le moins du monde.

C’est un moyen extraordinaire de se déplacer. Il me semble presque que nous appartenons au paysage que je ne cesse de contempler, installé sur l’un des chameaux de trait.

Au son de la musique du groupe « Dead Can Dance », Denis s’ouvre une nouvelle bouteille de bière. Alors qu’il n’en a consommé qu’une moitié, il la présente à Schitzel, la femelle qui un peu plus tôt, prenait un malin plaisir à me mordiller l’oreille. En la voyant, elle avance son long cou et la saisit par le goulot, inclinant sa tête en arrière. Rapidement, elle avale l’alcool restant dans la bouteille avant de la jeter à l’intérieur de la roulotte.

Denis m’explique qu’il a découvert son goût pour les boissons alcoolisées alors qu’elle était encore petite. Au cours d’un barbecue, elle avait en un rien de temps vidé les cadavres dispersés sur le sol, sombrant ensuite dans un sommeil prolongé.

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© Renaud Fulconis / DPST

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