Lyente Apurte Chez les aborigènes

Dans le lit asséché de la rivière Todd, à Alice Springs, des petits groupes d’Aborigènes sont rassemblés autour de feux. Dans la fraîcheur du petit matin, certains sont encore enroulés dans des couvertures sales. Du chemin longeant cette large langue de sable qui traverse la ville, je les observe avec peine.

Autour d’eaux, le sol est jonché de canettes de bière vides et de détritus qu’un chien maigre vient renifler. Parfois, au sein de l’un des groupes, les voix s’élèvent, la tension monte et certains se lèvent, se jetant au visage des paroles que je ne comprends pas. L’un d’entre eux, ne parvenant pas à garder l’équilibre, tombe sur les fesses et place sa tête entre ses mains.

Je les imagine 15 000 ans plus tôt, au même endroit, assis sur des peaux de kangourous autour de la chaleur réconfortante de ce même foyer. Nus, ils discutent de la journée qui s’annonce. À proximité, de jeunes enfants sont endormis, couchés à même le sol devant un coupe-vent constitué de branchages et de paille. Les hommes se mettent en route avant le lever du soleil et suivent sur plusieurs centaines de mètres le lit de la rivière avant de rentrer dans le désert. Sur le sable brûlant, ils suivent la trace d’un iguane d’un mètre qu’ils finiront par dénicher et tuer. L’animal, long de presque un mètre, trouve sa place sur les épaules de l’un des hommes. Pendant ce temps, quelques femmes accompagnées d’enfants parcourent des kilomètres à la recherche de fruits et de racines. Après avoir suivi la trace d’un groupe de kangourous, les hommes se sont fabriqués une cachette de broussailles et depuis trois heures, attendent patiemment le passage des animaux que des rabatteurs sont censés diriger vers eux. Lorsqu’enfin, deux mâles passent à proximité, un adolescent à la barbe naissante tend son bras et avec son propulseur, envoie de toutes ses forces son javelot. La lance de bois frôle les poils de l’animal avant d’aller s’écraser sur le sol. Sans demander leur reste, les marsupiaux détalent bruyamment.

Les femmes déposent leur cueillette dans de grands plats creux en bois que certaines portent sur la tête. Elles connaissent parfaitement les vertus de chaque aliment ou ses propriétés médicinales. Après avoir couvert douze kilomètres et recueilli des kilos de graminées, elles décident de regagner le camp. La préparation du repas prend du temps. Les garçons posent le reptile sur le feu alors que les femmes portent beaucoup d’attention à leurs plantes qui, pour être comestibles, requièrent une préparation toute particulière. La collecte est triée puis broyée et des galettes prennent finalement forme avant d’être glissées sous la braise.

Hommes et femmes se rendent ensuite séparément dans des lieux secrets afin d’y fabriquer des objets sacrés. Ceux-ci serviront lors du prochain Corroboree, une cérémonie rituelle au cours de laquelle les familles, entretiennent leurs relations avec les esprits auxquels elles sont extrêmement attachées. Ils font partie du Temps du Rêve, décrivant le système complexe de valeurs réunissant les individus par-delà la vie et la mort. En fait, sur le territoire que les rites et les lois orales déterminent pour un clan, se trouvent des sites sacrés où l’esprit de chaque membre aime revenir après sa mort. Ces lieux doivent être protégés et célébrés afin que les ancêtres continuent d’accorder leur bienveillance aux individus du groupe. Dans le cas contraire, ils n’hésitent pas à manifester leur colère. Une longue période de sécheresse ou l’apparition de maladies peuvent être considérées comme des signes témoignant de leur mécontentement.

Au sein du clan composé d’une quinzaine d’individus, l’autorité s’exprime en fonction de l’expérience religieuse et des connaissances de chacun. Les plus âgés, hommes comme femmes, ont une influence importante, mais chacun des deux sexes a des rôles spécifiques quant à l’approche de la religion et de la connaissance et dont des aspects doivent demeurer sous le silence. La fin de l’après-midi est réservée au jeu, au bavardage puis au dîner avant que tous finissent par s’endormir sous une couverture d’étoiles.

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Au cours d’une même journée, le groupe a subvenu à ses besoins et a également consacré du temps à ses activités sociales et religieuses qui renforcent les liens entre les individus. Tout cela sans le moindre stress et en parfaite harmonie avec l’environnement dont ils font partie. Demain, ils chasseront et cueilleront vers un nouveau campement, en direction d’un rite à célébrer ou d’une rencontre. Ils suivront dand la nature les Chants des pistes. Ces tracés correspondant aux chemins suivis par les êtres ancestraux lorsqu’ils chantaient la terre pour la créer.

En les voyant dans la rivière, j’imagine à quel point le contact avec les blancs a pu être dramatique et l’enfer qu’ils ont vécu. Après 40 000 ans en société parfaitement organisée, vivant en paix et très attachés à la terre et à toutes ses représentations, ils ont découvert un autre monde. Celui de la désintégration sociale et de la destruction de leur culture. Un monde qui les a expulsé des territoires dont les ancêtres de leurs ancêtres avaient foulé le sol. Le choc des deux cultures inflige à ces gens un traumatisme particulièrement grave. Quand ce ne sont pas les maladies qui les déciment, ils sont chassés comme des bêtes, emprisonnés, enchaînés ou destinés à servir dans la propriété d’un colon. Ce n’est qu’en 1967 qu’un référendum donne, avec 91% de oui, la citoyenneté australienne au peuple indigène. On découvre aujourd’hui peu à peu des détails abominables sur la manière dont ces gens avaient été traités.

J’ai un profond respect pour eux et j’ai parfois du mal à garder mon calme quand j’entends qu’ils sont « des bons à rien, sales et mal élevés ». C’est malheureusement souvent l’image que garderont d’eux ceux qui viennent ici quelques jours et croisent dans la rue leur démarche hésitante et leurs yeux vides.

Depuis plus de deux mois, je me rends dès mon passage en ville dans les bureaux du Central Land Council. Cette organisation créée en 1974 a plusieurs objectifs : exprimer le point de vue et les souhaits des Aborigènes de la région protéger leurs intérêts comme propriétaires de la terre, les assister dans la protection des sites sacrés, les aider à développer les communautés dans lesquelles ils veulent habiter ou encore étudier les demandes de permis pour accéder à leurs territoires et le cas échéant, les délivrer.

Après de longues tractations et d’explications sur mes intentions, j’ai enfin dans la poche le document me permettant de me rendre dans l’une des communautés du Territoire du Nord. Mon discours a fini par être convaincant et les responsables aborigènes de Lyente Apurte ont accepté de me recevoir parmi eux. Située à l’entrée du désert de Simpson, cette communauté abrite une population variant entre 150 et 300 personnes. Un grillage et une pancarte rouillés indiquent l’entrée du bourg et rappellent aux distraits qu’un permis est obligatoire et que la consommation d’alcool y est strictement interdite. Chacune de ces infractions est sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu’à 500 dollars. Entre la grille et les premières maisons, il y a quatre kilomètres. De retour de la ville où ils ont parfois consommé des boissons alcoolisées, certains cachent sous un arbre, à l’extérieur du grillage, quelques canettes ou bouteilles. Par la suite, ils n’hésitent pas à revenir à pied consommer leur bière, restant par la même occasion dans la légalité.

Ces communautés ont vraiment vu le jour à partir du début des années 1970. À cette période, des petits groupes d’individus ont peu à peu quitté les agglomérations pour établir dans les régions isolées, des villages plus en rapport avec leur mode de vie. C’était pour eux un moyen de réaffirmer leurs liens avec la terre et leur culture. Ce retour à la nature ne fut pas pour autant un réel retour aux sources. Depuis l’arrivée des blancs, les Aborigènes ont adopté de nombreux éléments de notre société de consommation. Les maisons sont parfois équipées de téléviseurs et de magnétoscopes et chaque communauté possède au moins un fax, un ordinateur et des panneaux solaires.

Il y a quelques années, la communauté de Yuenduemu, dans le désert du Tanami était la toute première à être équipée d’un système de conférence par satellite. Avec cette prouesse technologique, les enfants du désert peuvent suivre en direct les interventions d’un enseignant installé dans un studio à 2 000 kilomètres de là. S’ils ont pris goût aux hamburgers, hot-dogs et sodas, ils ont durant la colonisation été contraints de porter des vêtements. Une obligation qui, à l’exception des chaussures, est aujourd’hui devenue une habitude. L’image de l’homme à moitié nu, le corps couvert de peinture appartient désormais davantage au cinéma qu’à la réalité. Pourtant, lors des cérémonies, ils aiment abandonner leurs jeans, leurs robes, leurs chemises ou leurs T-shirts et se peindre le corps. Ces rites, identiques à ceux de leurs ancêtres, ont encore, pour beaucoup d’entre eux, une importance capitale.

Le véhicule tout-terrain s’arrête devant un bâtiment dont les murs sont recouverts de peintures d’enfants. L’école ressemble à beaucoup d’autres. Elle est entourée d’une grande pelouse et bordée d’une aire de jeu. Paul, qui m’a conduit jusqu’ici y enseigne. Il appartient à la congrégation religieuse des Marist Brothers et vit en compagnie de trois autres Frères. Ils ont bien voulu m’héberger pour mon séjour qui va durer presque un mois. Ils ne sont pas les seuls blancs à habiter Lyente Apurte puisqu’il y a aussi quatre institutrices, un éducateur, un postier et une infirmière. Tous ont un amour tout particulier pour les Aborigènes et n’ont pas choisi de vivre à 70 kilomètres de la ville simplement pour avoir un meilleur salaire. La plupart des habitations sont construites autour du centre composé de cette école, du dispensaire, de la petite église blanche, de la boutique et de la poste. Un peu plus loin, le gymnase pouvant également faire office de salle de danse pour les ado. Les maisons les plus éloignées sont à deux bons kilomètres.

Au cours des premiers jours, je passe beaucoup de mon temps avec les frères Marist, les accompagnant à l’école où je sympathise vraiment avec la majorité des enfants. Souvent, je retrouve ces derniers pour discuter sur la pelouse. Des conversations en anglais qui se terminent généralement par de grandes séances de chatouille au cours desquelles je tente de résister à l’assaut d’une dizaine de petites mains.

Il y a quatre classes et pour celle des petits, une institutrice aborigène leur enseigne l’Arrernte, le dialecte de la région que l’on parle ici depuis des millénaires.

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La société aborigène regroupe un système sophistiqué de croyances ne s’exprimant que par le biais d’une littérature orale. Aujourd’hui cependant, les mots sont écrits et les enfants apprennent la langue de leurs parents à l’aide d’images et de mots transcrits phonétiquement. Certains mots exprimés en Anglais pour définir des objets n’existant pas chez les aborigènes ont été adapté à leurs dialectes. Ainsi, le mot « pathekèle » signifie «bicycle». Il correspond précisément à la manière dont il a été entendu au tout début et s’est ainsi transmis de bouches à oreilles. De même, « watjpital » veut dire « hospital ».

Apprendre l’Arrernte n’est pas une chose facile. En effet, la culture aborigène est en de nombreux points opposée à la culture anglo-saxonne. Ainsi, les manières d’indiquer le respect ne s’expriment pas d’une façon identique et il est de ce fait parfois complexe de trouver le mot adéquat à une situation. En Arrernte, il n’existe par exemple aucun mot pour dire « s’il vous plaît » ou « merci » tout comme il n’y a pas de vocabulaire pour « bonjour », « bonne nuit » ou encore « joyeux Noël ». Sachant cela, on comprend plus aisément pourquoi un ancien et un jeune peuvent avoir des difficultés à se comprendre. Au bout de deux semaines, je parviens à saisir certains mots et à en exprimer d’autres sans jamais aller plus loin. Un jour, sur une photo de classe, je remarque qu’un visage a été volontairement découpé. Sandy, la maîtresse aborigène qui encadre les petits, m’explique sans citer son nom que cette personne est « comundjé ». Décédée, cet enfant ne doit plus apparaître nulle part et lorsque l’on fait référence à lui, son nom ne doit pas être cité. Il faut alors dire « comundjé ».

Les jeunes apprécient l’école, plus encore lors des séances de sport. J’aime les accompagner dans la petite piscine même si je suis généralement la cible idéale pour être éclaboussé. Un jour, l’idée me vient d’organiser pour eux un mini triathlon. Nous fixons la date et invitons les enfants à trouver des vélos. La majorité d’entre eux en possède un, mais l’état dans lequel ils se trouvent est souvent pitoyable. Regroupés par catégorie d’âge, ils font leur possible pour couvrir en tête les deux longueurs de bassin. Ils montent ensuite sur un vélo qui n’est pas forcément le leur puisqu’une dizaine seulement en bon état ont pu être récupérés. Selon leur âge, ils parcourent dans le bourg une distance plus ou moins grande avant de partit en trombe pour la dernière épreuve de course à pied. C’est l’occasion d’un véritable enthousiasme générant des cris à gorge déployée pour encourager un copain ou redonner un peu de courage à un autre. Lorsqu’en fin de matinée, tous à quelques exceptions près, ont réalisé leur course, j’ai beaucoup de plaisir à les voir rentrer chez eux, l’air joyeux.

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Depuis mon arrivé ici, on m’a parlé quelques fois d’Erick et j’ai hâte de le rencontrer. Il habite à quelques kilomètres du centre et travaille à côté de l’église. Lunettes sur le nez, il m’accueille dans une grande salle sombre et m’invite à m’asseoir près de lui sur une chaise encombrée par une pile de documents. Sur une planche en équilibre instable sur deux tréteaux sont posés un ordinateur portable et de nombreux livres. Il est Néo-Zélandais et vient ici chaque après-midi depuis six ans. Religieux, il vit de dons lui permettant d’effectuer jusqu’à terme le travail de titan qui lui prend presque tout son temps. Il a choisi de traduire la Bible en Arrernte. C’est un passionné. D’autres diraient un fou ou un excentrique. Une épreuve d’autant plus incroyable que ce dialecte n’est parlé que par une minorité d’Aborigènes.

On estime que 1 500 à 2 000 personnes communiquent grâce à lui. Celui-ci fait partie d’un groupe de dialectes incluant d’autres variétés d’Arrernte tels que l’Alyawarr ou le Kaytetyerre. Si d’autres langues tel que le Pitjantjatjara sont aujourd’hui parlées à Alice Springs, on a coutume de considérer l’Arrernte comme le dialecte d’origine de la région. Il est entendu à environ 150 kilomètres au nord d’Alice, à près de 80 kilomètres au sud et à l’est, jusqu’à la frontière avec l’État du Queensland. Erick m’explique qu’il a appris à le parler en écoutant les gens, assis sur un des bancs installés à l’extérieur de la boutique, et où les Aborigènes s’assoient pour boire une boisson fraîche. Il m’exprime ses difficultés à traduire des sentiments ou des sensations qui ne sont pas décrites en Arrernte. Derrière moi, la porte grince et une maigre silhouette apparaît. Coiffé d’un chapeau noir, revêtu de vêtements trop grands et pieds nus, un vieil Aborigène s’approche de nous. Paddy est l’une des personnes les plus respectées de Lyente Apurte. Grâce à sa grande lucidité et à la connaissance qu’il a de ses semblables, il est à même d’aider Erick dans ses travaux. Malgré tout, ils passent parfois plusieurs heures sur un mot, cherchant celui qui pourrait s’en approcher le plus. Alors qu’en silence je les regarde travailler, je reste admiratif devant un tel ouvrage et face à cette complicité qui semble s’être instaurée entre les deux hommes. Je perçois aussi entre eux un immense respect mutuel. Lorsqu’avant de me retirer je mande à Erick combien de temps il pense mettre pour achever cette tâche, il sourit du coin des lèvres et me dit : « Voilà six ans que j’ai commencé, j’espère ne pas mettre plus d’une vingtaine d’années en tout. »

Les enfants m’attendent et envisagent de m’emmener avec eux faire le tour du bourg. Les contacts avec les adultes n’ont rien de comparable. Il n’est que rarement envisageable d’avoir une véritable discussion avec eux. L’état de plusieurs maisons est plutôt délabré. Les vitres sont cassées, des meubles sont à l’extérieur comme parfois les matelas sur lesquels ils s’étendent pour passer la nuit. Ces habitations, construites par l’État ne répondent, semble-t-il, pas toujours à leurs besoins. J’ai rencontré quelques mois plus tôt un entrepreneur dont le travail consiste à réparer leurs maisons. Il a garé sa caravane dans une communauté où il pense avoir de quoi faire jusqu’à ses vieux jours. Ce type d’habitation pose également un autre problème. Lorsqu’un adulte décède et qu’il devient « comundjé », la coutume veut que les proches cessent d’utiliser les objets lui ayant appartenu. Dans le cas de son habitation, il était facile de l’abandonner lorsque celle-ci était constituée de branches et de feuilles. Avec des maisons en dur, il fallait trouver une solution. Après des rencontres avec le conseil des anciens, il a été décidé que la famille d’une personne décédée pourrait échanger sa maison avec une autre famille.

Malgré l’interdiction d’alcool décidée par les Aborigènes eux-mêmes, je vois régulièrement un ou deux individus complètement saouls. Même si Jessie, le policier noir, effectue des ronges régulières pour les surprendre, ils semblent n’avoir plus rien à perdre. Je pense souvent à leur mode de vie resté inchangé durant plus de 40 000 ans et brutalement modifié en seulement 200 ans. En deux siècles ils sont passés d’une autonomie complète à une perte totale d’identité. Heureusement les choses s’améliorent.

Aujourd’hui, s’ils ne représentent qu’1,5% de la population, ils peuvent revendiquer le droit à posséder la terre et auraient des titres de propriété sur 12% du territoire national dont plus du tiers de la superficie du Territoire du nord, soit quelques 460 000 km2. Suite à une lutte acharnée, les deux plus célèbres parcs nationaux, Uluru (Ayers Rock) et Kakadu (où fut tourné le film Crocodile Dundee), leur appartiennent désormais. D’importants contrats ont été négociés avec les compagnies minières souhaitant exploiter des terrains détenus par les Aborigènes. L’exploitation des gisements se traduit par le versement de royalties aux communautés implantées à proximité.

Une faible proportion par contre occupe un emploi. Travailler est même parfois totalement incompatible avec leur manière de vivre. Ainsi, dans la société aborigène la possession individuelle n’existe pas. Les biens sont à l’ensemble du groupe et ne peuvent profiter à un seul individu au détriment des autres. Une règle facile à respecter avant l’arrivée des colons, mais qui met de sérieuses barrières à l’embauche de l’un d’eux, dans un commerce par exemple. Alors, comme j’ai pu le constater l’année précédente dans d’autres communautés, ils font la queue le jeudi lors du passage de l’avion apportant la pension dont ils peuvent bénéficier. De l’argent qui se retrouve souvent dans le tiroir caisse d’un débit de boissons.

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Je ne parviens pas à expliquer la fascination que j’ai pour ces gens. Peut-être est-ce simplement l’aspect mystérieux qui se dégage d’eux. Jamais je ne les ai trouvés mal élevés. Jamais non plus je n’ai été gêné par la saleté de leur peau ou de leurs vêtements. Souvent par contre j’ai pu lire dans leurs yeux la tristesse ou l’incompréhension. Les solutions pour sortir ces gens de la pauvreté dans laquelle baignent beaucoup d’entre eux sont finalement bien peu nombreuses. L’isolement des communautés, l’absence de connaissances nécessaires à l’occupation d’un poste, leurs mauvaises conditions de santé tout comme l’attachement à participer à des cérémonies pouvant durer des semaines sont autant de points freinants inévitablement leur intégration. Même dans le secteur touristique où leur connaissance de la terre est un atout majeur, ils refusent de s’impliquer, ayant l’impression d’être des objets culturels.

Lorsque je suis les enfants à la chasse à l’iguane, que j’accompagne les femmes lors de leurs recherches des fourmis à miel ou que j’admire le talent d’un artiste qui place une infinité de points multicolores sur une toile, je me sens tout petit. Ils n’ont bien souvent rien dans les poches, ne possèdent pas réellement de biens matériels, n’ont jamais pris l’avion et ne sont pour beaucoup jamais plongés dans une encyclopédie et pourtant, j’ai l’impression d’avoir bien plus à apprendre d’eux qu’eux de moi. Et si désormais le système politique autorise chaque Aborigène à aller voter et effectue enfin de nombreuses démarches à leur égard, il ne leur offrira probablement jamais la chose la plus primordiale, celle d’être tout simplement eux-mêmes.

© Renaud Fulconis / DPST – Tous droits réservés

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