Un lion dans la nuit Parc du Massaï-Mara

Depuis plusieurs heures, nous sillonnons les pistes du parc national du Masaï-Mara, suivis d’un nuage de poussière qui, en retombant, vient déposer ses fines particules parmi les acacias.

Le soleil encore bas illumine déjà la plaine de ses plus belles couleurs, ses rayons venant lécher le tronc des arbres épars.

Le véhicule roule au pas, nous permettant d’approcher très près des groupes de gnous et de zèbres, des troupeaux d’éléphants et des familles de girafes.

Le Masaï-Mara est une merveille de l’Afrique ; Extension de l’immense parc tanzanien du Serengeti, il accueille une grande quantité d’animaux. C’est là que se déroule en mai et juin, l’un des plus magnifiques spectacles donnés par la faune du continent noir. A cette période, les grands herbivores accomplissent vers le nord un voyage en direction de verts pâturages où ils trouvent eau et ombre lors des mois les plus chauds de l’année. En décembre, à l’arrivée des premières pluies, ils regagnent le sud. Là, ils échappent à la piqûre souvent fatale de la mouche tsé-tsé, procurant la maladie du sommeil.

La migration est assurée dans une cohésion aussi grande que possible. En effet, c’est durant cette période que les éléments vulnérables sont le plus en danger : les jeunes, les vieux et les malades. Les lions et les hyènes suivent les troupeaux et épient les imprudents. Le passage des rivières représente également de multiples dangers. Les crocodiles guettent ce qui va constituer leur principal apport alimentaire annuel. Assoiffés par leur course à travers les plaines brûlantes, les herbivores s’abreuvent aux rivières et les traversent malgré les risques. Patients les crocodiles attendent un individu isolé avant de se jeter à sa gorge et de l’entrainer sous l’eau. Il est alors dévoré vivant sous les yeux quasi indifférents de ses congénères. Les animaux sont partout et je suis stupéfait par le spectacle. C’est un véritable plaisir de les voir se mêler dans une totale harmonie.

En sortant d’un virage, masqué tout d’abord par de nombreux arbres, un groupe d’éléphants apparaît soudain ; Ils doivent être une vingtaine, marchant d’un pas nonchalant, pas même surpris de la présence de notre véhicule. En tête, une femelle âgée mène la danse. Derrière elle, d’autres femelles et plusieurs éléphanteaux. La plupart des petits tiennent fermement dans leur trompe la queue de leur mère, qui à la Longue, finit par s’user. Protégés par la coopération intelligente des adultes, ces éléphanteaux progressent en sécurité. Le groupe ne semble pas comporter de mâles. Généralement, ces derniers vivent séparés des femelles qu’ils quittent au moment de la puberté et sont souvent accompagnés d’un ou deux jeunes. Les très vieux mâles pour leur part, sont généralement solitaires.

Les éléphants d’Afrique sont les plus grands mammifères terrestres actuels. Un adulte peut mesurer jusqu’à 3,80 m au garrot et peser plus de dix tonnes. Ce pacifique pachyderme est totalement végétarien. Par jour, il peut consommer jusqu’à 200 kilos de feuilles, racines, écorces ou fruits. Les incisives supérieures se transforment en défenses, utiles pour extraire les racines et décortiquer les troncs d’arbres. Les molaires sont remplacées après usure par la dent suivante. Lorsque l’éléphant ne dispose plus de molaires disponibles, il ne peut plus mâcher. Il est donc destiné à mourir de faim. Cette mort, bien que triste, apparaît bien rose si on la compare à celle que lui réserve son unique prédateur, l’homme. Chassés pour leur ivoire, plusieurs milliers d’entre eux périssent chaque année sur une population totale d’environ 410 000 (110 000 de moins en 10 ans). En silence, les derniers membres du groupe passent devant nous, agitant leurs grandes oreilles pour augmenter le flot d’air qui leur permet de se rafraîchir.

Absorbé par le spectacle, je n’ai pas vu le singe vervet qui vient de rentrer par l’une des fenêtres arrière du véhicule. Sans la moindre hésitation, il se met à fouiller dans mon sac posé sur un siège. J’ai un mal fou à récupérer mon bien sous les fous rires du chauffeur.

Alors que nous nous arrêtons pour déjeuner, John, mon guide qui conduit le véhicule, sort de sa poche une Sportsman, la cigarette locale. Quand nous entamons le dessert et que la pluie fait son apparition, nous voyons s’approcher la silhouette massive d’un rhinocéros. Par prudence, nous regagnons la voiture d’où j’observe le gros animal qui avance, impassible sous la pluie.

rhino

Le rhinocéros parti alors que le soleil lui revient, nous nous installons à l’ombre d’un arbre, comme le fait la majorité des animaux aux heures les plus chaudes de la journée. Durant cette période, la nature s’apaise, les fauves bâillent à l’ombre et donnent un peu de répit à leurs victimes potentielles. Lorsque le soleil entame sa descente vers l’horizon, nous reprenons la route. La chasse a repris elle aussi. Le regard de John, riche d’une longue expérience, vient de s’arrêter sur des zèbres paissant à quelques centaines de mètres du véhicule. Il ralentit, ce que je ne comprends tout d’abord pas, avant de réaliser qu’il y a sous un arbre à proximité du groupe, une masse sombre immobile. Un lion. Tel un chat qui surveille une plume qu’on agite devant lui, le roi des animaux ne quitte le groupe d’équidés des yeux. Le sens du vent est très probablement en sa faveur puisqu’aucun des zèbres ne semble avoir remarqué sa présence. Tout en continuant à se nourrir, l’un d’eux s’éloigne peu à peu des autres et se rapproche du fauve. Celui-ci, imperturbable, ne bouge pas.

Pendant plus d’une heure, nous assistons à ce spectacle. Je reste fasciné par sa patience et à plusieurs reprises, je souhaite le voir récompensé. Pourtant, j’aimerais également voir le zèbre revenir sur ses pas, et échapper ainsi aux griffes du fauve. Dans ce cas, la mort d’un animal n’a rien de cruel. Elle n’est qu’un des maillons de la chaîne alimentaire qui régule la vie sauvage. Rien de comparable avec le braconnage ou les chasses intensives, au cours desquelles on tue pour le simple plaisir de détenir un trophée supplémentaire. Ici, chacun a ses chances et l’agilité du zèbre est un avantage en comparaison de la vélocité du lion. L’ongulé est à moins d’une cinquantaine de mètres du fauve.

Bientôt, ce dernier va bondir sur sa proie. Mais alors que la distance les séparant est plus courte encore, le zèbre tourne brusquement la tête vers l’arbre.

Sans doute le vent vient-il de changer de direction et l’odeur de la mort est arrivée brusquement à ses narines. Comme dans un dessin animé de Tex Avery, l’équidé décolle littéralement du sol et détale sans demander son reste. Le troupeau s’enfuit, le lion ne bouge pas, sans doute déçu d’avoir trop attendu. La lumière du jour est maintenant moins vive, nous regagnons le camp. Quelques tentes sont installées autour d’un grand feu. Nous sommes plusieurs à partager notre expérience de la journée. Trois Anglais, un Allemand et un Américain ont, comme moi, plein de souvenirs à raconter.

En dehors de John et d’un autre guide, deux Massaïs partagent notre repas. Je ne comprends pas leurs paroles mais le Swahili chante comme la nature africaine. Ils sont grands, élégants, fiers et leur peuple craint et respecté de tous. Avec une tasse de thé, je tente d’échanger quelques phrases avec eux, des phrases se terminant le plus souvent en de grands éclats de rire. Devant nous monte dans le ciel sombre une lune énorme. Les autres ont regagné leur tente. Autour du feu, les Massaïs et moi restons de longues minutes en silence, riant simplement quand nos regards se croisent.

La nuit est déjà bien avancée et je décide d’installer mon duvet un peu à l’écart du feu. Comme couverture, au lieu de la toile d’une tente, un million d’étoiles. La fatigue est là mais le sommeil tarde à venir. Au loin on perçoit le ricanement des hyènes. Les Massaïs ne sont plus près du foyer quand un rugissement crève soudain la pénombre.

Le silence se fait et mon cœur s’accélère. Je ne dors toujours pas lorsque le rugissement se reproduit, plus près cette fois, puis plus près encore.

L’animal est tout proche, peut-être attiré par les odeurs de nourriture flottants autour de nous. Durant un laps de temps qui me semble infiniment long, le silence gagne la partie avant d’être à nouveau déchiré par un rugissement, moins fort, mais extrêmement près.

J’ai peine à en croire mes yeux quand un lion apparaît dans la lueur du feu. En ce qui paraît être une éternité, le fauve traverse le camp. À une petite dizaine de mètres de moi, il plonge son regard dans le mien, puis passe son chemin.

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