Ironman d’Hawaii Championnat du monde de Triathlon

Il fait encore nuit lorsque je quitte mon hôtel. Dehors, c’est l’effervescence.

La petite ville de Kaïlua Kona, située sur la plus importante des îles de l’archipel d’Hawaï, en plein océan Pacifique, s’apprête à vivre un nouvel épisode du plus grand événement de l’année : l’Ironman, le plus célèbre des triathlons, la discipline du triple effort.

En 1978, sur la plage de Waïkiki, pour trois dollars d’inscription, quinze hommes se lancent un défi. Parcourir sans arrêt du chronomètre, quatre kilomètres à la nage, 180 kilomètres de vélo et un marathon, soit 42 kilomètres  à pied. Le triathlon vient de naître.

En 1983, Je suis l’un des téléspectateurs de l’épreuve de Nice. Devant ma télévision, je découvre ce sport où les participants vont au bout d’eux-mêmes. Je reste bouche bée. Moins d’un an plus tard, je prends le départ de l’épreuve de Genève. Elle sera suivie de plus d’une soixantaine d’autres, en France et à l’étranger. J’essaierai même une ultra distance, un triathlon avec 12 kilomètres de natation, 540 kilomètres de vélo et 120 kilomètres à pied. Malheureusement, une tendinite au genou m’obligera à abandonner peu avant la fin du parcours de cyclisme.

Hawaï est une forme de consécration, la course pour laquelle plus de 15.000 triathlètes tentent de se sélectionner chaque année. C’est à Roth, près de Nuremberg, en Allemagne, que j’ai décroché mon billet. Sur la même distance, j’ai gagné le droit de prendre le départ de cette course mythique. Nous sommes 1.477 à tenter notre chance aujourd’hui, malgré les 225 dollars d’inscription.

Ma présence ici est le résultat de plus de sept mois d’entrainement intensif. Jusqu’à six heures par jour à rouler, courir et nager. Pas de sortie, pas de restaurant, un régime végétarien, une bonne quantité de céréales et de pâtes, de la relaxation, beaucoup de sommeil et pour compagnon d’entraînement, Todd Voss, un professionnel australien de ce sport.

Il est 5 heures ce matin. Autour du parc fermé où les vélos nous attendent depuis la veille, près de 3.500 bénévoles s’apprêtent à nous nourrir, nous abreuver, nous orienter et nous encourager. Sur l’océan Pacifique, les premières lueurs du jour qui se lève sont splendides. Elles laissent présager une chaude journée. Près de moi, Mark Allen, champion incontesté de la discipline. Il semble être dans un état second, visualisant très probablement chaque moment de l’épreuve qui nous attend. Les bénévoles appliquent au marqueur sur nos bras et jambes, notre numéro de dossard. La tension monte. Dans l’eau, de nombreux athlètes s’échauffent sous les yeux de milliers de spectateurs déjà installés sur les rochers entourant la petite plage. Des journalistes du monde entier courent en tous sens.

6h45, dans quinze minutes, nous serons partis. Je m’avance dans l’eau à 26° et gagne péniblement les premiers rangs de la ligne de départ. Le speaker annonce l’imminence du départ, les rangs se resserrent et puis c’est le coup de feu.

Nous nageons les uns sur les autres tant est étroite la petite baie. Je distingue les hurlements de la foule. Sous l’eau claire, des plongeurs nous font des signes. Ils sont là pour assurer notre sécurité. La mer est agitée et les vagues un peu hautes pour effectuer la natation dans les meilleures conditions. Trop souvent, il me faut sortir la tête pour ne pas perdre de vue l’énorme bateau marquant la moitié du parcours. J’ai bien du mal à trouver mes sensations. Sans vraiment peiner, j’ai conscience de ne pas être dans un grand jour. En touchant la plage, je suis fatigué, trop fatigué. J’ai nagé 1h10 alors que je pensais mettre huit à dix minutes de moins. Je passe sous la douche afin de retirer le sel qui recouvre mon corps. Rapidement, j’enfile un maillot, les chaussures et enfourche mon vélo pour 180 kilomètres. Le tracé est simple, une ligne droite sur le bord de l’océan, un demi tout et retour par la même route. Au début, tout va bien, mon compteur marque souvent une vitesse supérieure à 35 km/h. Malheureusement, force est de m’apercevoir que le temps natation n’est pas le fait du hasard, je suis vraiment mal. Ma vitesse moyenne tombe aux alentours des 25 km/h et pourtant, je suis au maximum. Aux ravitaillements, installés tous les dix kilomètres, j’attrape des barres énergétiques et des bidons de boissons fraîches. Je passe mon temps à m’arroser, sans me sentir mieux pour autant. Je lutte contre le vent, j’ai chaud. Parfois, je voudrais m’arrêter, m’allonger là, sur le bitume fondant. Le thermomètre doit friser les 45°. Mais je continue, je roule et sans arrêt, les concurrents me doublent.

Depuis ma sélection à Roth, en Allemagne deux mois plus tôt, mon entraînement s’est légèrement relâché. L’objectif état de courir ici, pas de faire une place. Et pour venir sur le continent américain, plutôt que l’avion, j’ai eu la chance de traverser l’Atlantique sur le Queen Elisabeth II, avec trois membres de ma famille. Six jours de mer sur l’un des derniers grands paquebots. À bord, un peu de natation dans l’une des piscines et du vélo dans la salle de sport. Expérience extraordinaire, mais pas l’idéal comme ultime préparation. Et lors du vol entre New-York et Hawaï, mon vélo a subi quelques dommages qui m’empêchent de rouler à mon arrivée sur place.

Maintenant peu importe, je dois juste tenir. Sans trop savoir comment, je pédale encore, attendant impatiemment chaque nouveau ravitaillement. Les huit derniers kilomètres seront pour moi les plus longs jamais passées sur un vélo. Lorsque j’en termine, c’est à peine si je tiens debout.

Pendant une demi-heure, je reste allongé sur la table de massage et repars, le moral au plus haut.

Il y a 8h15, je me mettais à l’eau et dans dix minutes, Mark Allen passera en tête la ligne d’arrivée. Au cinquième kilomètre, la galère recommence. Plus la force de courir, je me mets à marcher. En fait, je zigzague plutôt. Continuer ? Abandonner ?… Dix fois, cent fois, je vais me poser la question. Après tout, il reste à peine quarante bornes. Je m’allonge sur une pelouse et cela va un peu mieux, mais je me dis que si un médecin me voyait dans cet état, il m’interdirait d’aller plus loin. Curieusement, cette idée me redonne du courage. Rien ne m’empêchera de terminer.

Me revoilà sur le Highway, la nuit tombe et je marche plus vite. Les bénévoles nous distribuent des cordons lumineux et de la soupe. Bon sang que c’est encore long ! Pendant deux heures, je suis partagé entre des moments de bonheur et de bien-être et des passages d’intense déception et de fatigue. À deux reprises, je vais même me mettre à chialer. Au 30ème kilomètre, je commence à croiser ceux qui sont derrière moi et tout devient plus facile. Je parviens à me remettre à courir, doucement, puis plus vite. Au loin, je peux entendre quelques échos de l’arrivée, je dois approcher les 13 km/h maintenant. A l’entrée de Kona, j’accélère encore, je me sens euphorique. Le long des derniers mètres, il y a des centaines de spectateurs, ils sont partout. J’accélère, je dois courir à 16 à l’heure, les spectateurs crient, applaudissent. Jamais, je n’ai connu pareille sensation.

14 heures 37 minutes 23 secondes. Quatre heures de plus que le temps prévu. Mais cela m’est égal. Ce soir, je suis vraiment heureux parce que je me suis offert l’un des plus beaux cadeaux : passer la ligne d’arrivée à Kona.

Heureux aussi car on apprend plus dans une défaite que dans une victoire, et que cette défaite sur le temps, c’est aussi une victoire sur moi-même.

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